Le vin selon Stéphane Derenoncourt : au plus près du Terroir.

Matinée de brume où le ciel s’attarde à caresser la terre, visibilité nulle, environ trois cent mètres, je ne perçois que peu de chose de la beauté des coteaux qui mènent à Sainte Colombe. Dommage, le lieu choisi par Stéphane et Christine Derenoncourt pour créer leur domaine ne doit rien au hasard. Pour les photos, je reviendrai avec le soleil. Petite leçon de patience et d’humilité à la fille des villes, une manifestation de la suprématie de la nature, aujourd’hui elle ne veut pas. En matière de vigne aussi, le sol et la météo commandent.

Le Domaine

Le Domaine

Derenoncourt Consultants

Derenoncourt Consultants

Stéphane Derenoncourt le sait bien, lui qui privilégie une approche terroir de son business, pas de laboratoire chez lui mais des bureaux sobres et lumineux. Les nouveaux bâtiments de sa société de conseil, pierres blondes et bois sont largement ouverts sur le plateau environnant, en osmose avec le milieu. Ici travaillent trois générations de consultants, chacun doté d’un joli bagage technique mais formé sur place à la vigne et aux sols. Les premiers ont tout appris auprès du maître, les jeunes sont coachés par les seniors. Tous se mettent au service d’une philosophie de travail sans manifestation d’égo.

 

Leur crédo : L’identité du vin vient de la capacité à comprendre le sol et la terre. Celle-ci constitue une base de données solide. Le raisin réagit différemment selon les terroirs. Les sols argileux donnent des vins larges et sphériques, les sols sableux des vins élégants. La gamme aromatique suit. Ainsi, l’argile apporte au Merlot des notes de framboise et les argilo-calcaires ont le parfum de la mûre, de la violette sauvage et de la truffe noire. L’équipe se met au service du sol, une démarche humble qui permet de faire un vin juste.

Notre rendez-vous commence par un tour dans les vignes. Stéphane Derenoncourt amène un client sur une jeune parcelle. Les deux hommes affichent la complicité des gens de passion. Ils parlent de plantation en franc de pied, de taille, d’exposition, s’extasient devant une jolie parcelle où le calcaire affleure, sol propice au bon vin. On différencie facilement les vignes de Stéphane Derenoncourt de celle de ses voisins, il les a rabaissées. Près du sol, la réverbération sera plus importante, le cep bénéficie d’un microclimat, le flux de sève serait différent. Le conseiller vigneron entend bien mettre au service de sa vigne tout le savoir faire, toutes les solutions imaginées en trente ans de travail. Le Domaine de l’A, son œuvre, conduit en biodynamie, donne un raisin-matière d’un vin d’exception, véritable sculpture sur liquide.

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Sur le retour, avant de se poser au chaud pour un entretien vérité, nous faisons halte dans le chai. Stéphane l’a construit ex nihilo, sans ciment, ni ferraille et de façon éco-responsable. Les deux compagnons qui ont travaillé pour lui ont utilisé la pierre et la chaux avec une isolation en béton de chanvre, un matériau issu d’une plante renouvelable qui pousse très vite. L’hygrométrie naturelle est très bonne, la température constante assure un vieillissement optimal du vin. Celui-ci est vinifié en foudre sans levure exogène. Le Domaine de L’A reposera ensuite en barriques de chêne français, neuves pour 1/3, pendant seize à dix huit mois, selon les millésimes. La cave du domaine possède des qualités de vieillissement exceptionnelles. Elle a été choisie par Patrick Duler du domaine de Saint Géry dans les Pyrénées. Le cuisinier paysan y a fait vieillir son jambon de porc noir gascon, un produit arrivé premier devant le Joselito, meilleur jambon du monde, lors d’une dégustation en aveugle à Séville.

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Les Barriques au nom de Fleur

Les Barriques au nom de Fleur

La méthode, la réussite de Stéphane Derenoncourt questionnent. Rien ne prédisposait l’enfant de Dunkerque à devenir un des meilleurs winemakers de sa génération. La recherche d’une vie meilleure, le refus de finir tourneur-fraiseur en usine ont poussé le Ch’ti à s’installer à Bordeaux. Sans famille, sans racines locales, sans joli diplôme, il s’est implanté avec succès au cœur d’un vignoble conservateur et bourgeois. Voici mon Entretien Vérité avec le plus atypique des consultant en vins français.

La vigne et toi c’est une histoire qui débute comment ?

Elle débute mal. J’ai décidé de changer de vie et je commence par répondre à une annonce de l’ANPE pour faire les vendanges. Je continue avec les travaux dans les vignes, dans la chaleur l’été, le froid l’hiver. Mal payé, peu considéré, j’ai détesté.

 3 dates à retenir de ton parcours ?

  •  1985 premier job sérieux au Château La Fleur Cailleau. Ouvrier de chai, je découvre le travail de la       vinification. Là, je tombe amoureux du métier. J’ai trouvé ce que je veux faire de ma vie.
  • 1990 Pavie Macquin, Grand Cru Classé de Saint Emilion. Je prends le poste de chef de culture et de maître de chai d’un domaine en piteux état. Succès immédiat, notre travail plaît. Pour moi, c’est le début d’une petite notoriété, d’une certaine reconnaissance.
  • 1999 Création de Vignerons Consultants, Mariage avec Christine, Naissance de mon premier fils Théo

Tu découvres la biodynamie dès ton premier vrai job, tu travailles tes vignes selon les préceptes de Steiner et pourtant tu refuses la certification. Coquetterie de star ?

J’ai toujours travaillé en biodynamie, je pensais même que c’était la règle partout comme à Château Cailleau. A l’époque, on passait pour des sorciers, des fous. Aujourd’hui il y a une exploitation des craintes, des préoccupations environnementales des consommateurs. Refuser la certification, c’est rester humble, ne pas rentrer dans le marketing de la biodynamie.Et puis, Je n’aime pas beaucoup les cadres, les chapelles. Sans Dieu, ni maître, je reste. Par contre je suis très ouvert à montrer ce que l’on fait.

Tu cosignes un livre magnifique : Wine, Derenoncourt, Un Homme, Un Groupe textes soignés de Claire Brosse et superbes photos de Christophe Goussard. Joli retour sur un parcours hors norme de l’usine du Nord aux Châteaux Bordelais. A le lire, on découvre un homme qui fonctionne à l’instinct, au feeling et à l’humain. Est-ce vraiment la méthode Renoncourt ou bien le livre oublie l’approche rationnelle, technique et statistique que ton équipe de spécialistes pourrait parfaitement incarner ?

 Je vais citer Henri Jayet, grand viticulteur bourguignon. Il faut bien connaître l’œnologie pour pouvoir sans passer.

Le livre n’oublie pas l’approche technique mais il reflète la philosophie de mon entreprise : la recherche d’une ambiance festive, du travail passion. J’emploie des techniciens à qui j’ai du apprendre les gestes des anciens, ceux que l’on transmet de père en fils. J’ai eu à dé-former des gens ultra formés.

Quelle est ton idée d’un vin réussi, ton envie quand tu prends en charge un domaine ?

Le vin réussi est unique, singulier, le reflet de son terroir.

Aujourd’hui, J’ai le luxe de pouvoir choisir mes nouveaux clients. Je travaille si trois conditions sont réunies.

  • Un sol de qualité, un terroir sympa
  • Un bon feeling avec le propriétaire
  • L’assurance d’avoir les moyens pour réaliser le projet

Il faut des gens partants, qu’il y ait du jus sinon, on s’emmerde

 Les qualités que tu préfères chez un vigneron ?

La sensibilité à sa vigne. Il est plus facile de corriger un mauvais vinificateur qu’un mauvais viticulteur.

 La méthode Derenoncourt ?

Nous commençons par une phase d’observation in situ : le terrain, la vigne. Ensuite nous procédons à un audit technique. Au final, nous élaborons un projet, une philosophie de production qui donne l’équilibre au lieu pour que le raisin s’exprime. Nous ne vendons pas d’analyse, pas de produit d’élevage, pas de levures. Ici au domaine nous n’en utilisons pas. Notre démarche basée sur la matière suppose de nombreux déplacements chez les clients avec une présence accrue avant les vendanges. Nous marchons dans les vignes, nous goûtons le raisin pour déterminer la date optimale de la récolte.

Ta signature ?

Je fais des vins identitaires, des vins d’expression. Je ne cherche pas à tatouer mes vins de mon nom. Je laisse parler le domaine. Je me sens plus chef qu’œnologue. Je transforme la matière en la respectant.

Canon la Gaffelière, Saint Emilion Grand Cru, prestigieux client de Derenoncourt Consultants

 

Un vin pour faire craquer les filles ?

Un vin sexy ? Difficile, le choix est vaste.

Un Pavie Macquin 1998, puissance et élégance. Force et douceur, là elle craque !

Une adresse pour aller diner ?

L’Auberge Saint Jean de Thomas L’Hérisson à Saint Jean de Blaignac, j’y vais en voisin.

Le Saint James pour la cuisine de Nicolas Magie, mon chef préféré.

 Ton actu, tes projets, un rêve ?

Mon actu, commencer une transmission à mes associés pour me dégager du temps. Je rêve d’avoir du temps même si avec mon métier, je rencontre des gens fabuleux. Je suis ravi de voir l’essor de Bordeaux. La ville a une forte identité vin que j’aimerais renforcer. J’aimerais redonner au bordelais le goût du Bordeaux. Bordeaux ne se limite pas aux Crus Classés, aux Châteaux et aux pantalons rouges. Je pense à la création d’un événement capable de valoriser, de défendre les petits producteurs.

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