Saké Japonais et terroirs, fantasme ou réalité ?

Saké Japonais et terroir, deux notions compatibles ? Chloé Cazaux Grandpierre, saké sommelière et guide touristique en Bordelais s’est penchée sur la thématique. Je partage ici les points forts de sa réflexion développés lors d’une master class suivie d’une magnifique dégustation de 60 sakés Japonais organisée par Akihisa Kajigaya.

Dégustation de 60 sakés de terroir
Akihisa Kajigaya et Chloé Cazaux Grandpierre, saké sommelière

La fabrication du saké japonais

Le saké japonais est une boisson alcoolisée – titrant environ 15° – à base de riz fermenté de variété Japonica. Son histoire accompagne celle de la céréale importée de Chine au IIIe.

Le process de fabrication.

La méthode traditionnelle : fermentation spontanée de riz préalablement mastiqué. Connue depuis l’antiquité, la fermentation est le changement d’état du glucose contenu dans les aliments en alcool, ceci sous l’action de micro-organismes, enzymes et levures. Le riz est une céréale composée à 70 % d’amidon mais celui-ci n’est pas fermentescible en l’état. En effet, l’amidon est un glucide complexe dont les molécules doivent être cassées et transformées en sucres simples capables eux de produire de l’alcool. Cette opération s’appelle la saccharification. La technique ancestrale est connue des premiers hommes, c’est la mastication. La salive contient une amylase qui opère le changement d’état. Au Japon, la mastication était réalisée par des jeunes filles lors de cérémonies rituelles. Ensuite, le riz mâché fermentait de façon spontanée et naturelle.

La méthode moderne : fermentation dirigée avec l’aide d’un starter et de levures ajoutées. Au Ve , les chinois ont découvert les levures, la saccharisation du riz par un champignon et mis au point de nouvelles pratiques toujours en vigueur dans les brasseries artisanales. Une partie des grains sont ensemencés par un champignon microscopique qui initie la transformation bio-chimique de l’amidon. La préparation est ensuite travaillée pendant deux semaines avec de l’eau et du riz de façon à obtenir ce qu’en viticulture on appelle un pied de cuve ( qui sert à faire partir le fermentation des moûts). Ce shubo est ensuite incorporé par étape au riz préalablement cuit à la vapeur. Et là commence le process de fermentation qui au final donnera le saké.

Voici les principales étapes du processus complet de fabrication du saké :

  • polissage du riz. On débarrasse le grain de sa couche externe trop riche en protéines qui altèrent le goût su saké.
  • lavage, trempage et cuisson à la vapeur
  • Fabrication du Koji : mise en culture de 20% du riz avec un champignon l’aspergillus orysae capable de dégrader l’amidon.
  • Préparation du shubo (sorte de pied de cuve) avec du Koji, du riz, des levures et de l’eau. 2 semaines
  • Fermentation alcoolique du riz pendant 3 à 4 semaines
  • Extraction du jus (égouttage) pour obtenir le saké
  • clarification du jus en deux étapes par filtration et sédimentation. Les lies sont séparéses du jus par simple gravitation.
  • pasteurisation à 60°.
  • mise en bouteille
  • Repos pendant 6 à 12 mois.

La méthode n’est pas sans rappeler celui de la vinification du raisin. Et quitte à partir dans les comparaisons, pourquoi ne pas aborder la question qui fait vibrer le monde du vin : celle des terroirs.

Pourqu parler de terroirs Sakés Japonais ?

La notion de terroir, si chère au monde du vin s’applique-t-elle au saké japonais ? Chloé Cazaux Grandpierre nous montre que l’idée du terroir, inconnue jusqu’alors, émerge et prend tout son sens dans le Japon du XXI siècle.

Et d’abord, qu’entend-on par le mot terroir ?

« Un Terroir est un espace géographique délimité défini à partir d’une communauté humaine qui construit au cours de son histoire un ensemble de traits culturels distinctifs, de savoirs et de pratiques, fondés sur un système d’interactions entre le milieu naturel et les facteurs humains. Les savoir-faire mis en jeu révèlent une originalité, confèrent une typicité et permettent une reconnaissance pour les produits ou services originaires de cet espace et donc pour les hommes qui y vivent. Les terroirs sont des espaces vivants et innovants qui ne peuvent être assimilés à la seule tradition ».

(INRA-INAO-UNESCO1, 2005).

De cette définition, il ressort deux données essentielles : la géographie et les pratiques humaines, le savoir-faire.

Qu’en est-il côté Saké ?

La géographie du Saké

A l’origine les brasseries se sont installées au sud du pays, une région au climat sub tropical propice à la croissance du riz. La mise au point de variétés résistantes au froid a permis d’étendre la culture du Kansaï au nord de l’archipel et donc la production de saké japonais. Aujourd’hui, on produit donc du saké dans de multiples régions.

Chacune possède ses caractéristiques identitaires, une association unique entre un type de sol et un climat donné. On pourrait donc penser que les sakés japonais sont fortement marqués par leur origine. Et quand on sait que l’eau est la composante principale du Saké – à hauteur de 80 %- , on pourrait penser que le vin de riz représente son terroir.

L’obstacle majeure à un marqueur régional fut longtemps lié à la séparation entre la production du riz et celle du saké. Les brasseries, au contraire du monde du vin, sont rarement propriétaires des rizières et rien n’empêche de fabriquer du saké à partir de riz acheté loin de la brasserie et même à partir de riz venu d’autres pays. L’essor des transports a encouragé les échanges et aussi la perte d’identité.

Le Saké a aussi pâti d’une forte industrialisation au XXe. Produit devenu banal et manquant de personnalité, il a vu petit à petit sa consommation diminuer au point de devenir marginal chez les jeunes. Aujourd’hui, la boisson populaire au Japon, c’est la bière.

Le saké de terroir, une demande venue de l’étranger

Face à la désaffection de leur marché local, les brasseurs japonais ont regardé avec plus d’attention les attentes de leur clientèle étrangère. Aux USA et dans le reste du monde, le vin de riz est porté par une envie d’exotisme et de nouveauté mais aussi de produits à forte identité.

C’est en partie pour répondre à cette nouvelle demande qu’un certains nombres de producteurs se sont penchés sur la notion de terroir et la valorisation de leur savoir-faire.

Les différents terroirs de saké

Si la notion de terroir de saké peut prendre tout son sens, c’est que le vin de riz est composée à 80% d’eau. Sa dureté ou sa douceur, sa charge en minéraux vont donner des vins différents, des sakés avec texture et mâche ou des sakés fins et rafraîchissants.

La qualité du riz est le second éléments qui singularise le produit. Les Sakés sont géographiquement marqués quand le brasseur achète son riz localement.

Et enfin, les pratiques sont fortement liées au chef de cave, le Tôji . La conduite de la fermentation demande beaucoup de savoir-faire. Dans les brasseries artisanales, les cuves ne sont pas thermo-régulées, la température si importante pour la vie des levures, est contrôlée par des moyens simples. L’expérience, la précision de la main de l’homme apportent un supplément d’âme aux sakés premiums. Les maîtres brasseurs sont organisés en guildes qui donnent leur style particuliers. La plus classique est celle de Nanbu qui rassemble 1/3 des Tôjis.

Qualité de l’eau, du riz et présence d’un savoir-faire local, trois éléments fondamentaux du concept de terroirs sont bien présents dans le saké. Pour installer la notion, il ne manquait que les IGP, l’histoire est en marche.

L’émergence des IG, les indications géographiques.

Fait assez remarquable dans un pays de grandes traditions culinaires, les indications géographiques protégées n’existait pas au Japon avant le XXIe.

Il faut attendre 2015 pour que soit crée un système de protection des produits similaire à celui que nous connaissons en France ou en Europe avec les IGP.

En ce domaine, les producteurs de saké ont joué les précurseurs puisque dès 1997, le département de Niigata a crée un label estampillant les alcools produits localement. Leur initiative a fait des émules, de nouvelles préfectures mettent en place leur certification d’origine.

  • 2002 : Nagano
  • 2004 : Saga
  • 2005 : Hakusan – région de montagnes
  • 2015 : Nihonshu
  • 2016 : Yamagata- certification IG
  • 2018 : Nagagogo IG
  • 2020 : Harima et Mie IG
  • 2021 : Tone Numata

Chacune des régions établit son propre cahier des charges pour valoriser le lien entre origine et qualité de leurs sakés. L’obligation minimale est d’utiliser une eau de région. Pour le reste, la culture du riz, l’usage de pesticides, le contrôle des rendements ou la liste des additifs autorisés, il n’existe pas de règles écrites.

Le consommateur non averti devra donc trouver des guides pour entrer dans le monde méconnu du saké japonais. A Bordeaux nous avons la chance d’avoir Chloé Cazaux Grandpierre. Je vous invite à aller voir son site si vous aussi vous souhaitez en savoir un peu plus sur le sujet. https://www.otsukimi.fr

En attendant, voici mon retour d’expérience sur une belle dégustation.

Comment déguster le saké japonais ?

Une fois posée la notion de terroirs de saké, il devient plus facile de procéder à la dégustation. Très simplement, le saké peut se découvrir par région de production. C’était l’idée d’Akihisa Kajigaya dans sa proposition du 13 février dernier. Il a proposé une approche par territoires.

Ensuite, Chloé Cazaux Grandpierre nous conseille de procéder comme pour le vin en suivant le déroulé classique :

En premier, l’examen visuel pour apprécier les nuances de couleurs. Ensuite, l’examen olfactif dans l’objectif de déceler l’intensité et la qualité des arômes . Enfin, l’examen gustatif qui révèle les piliers du vin : l’acidité, l’alcool mais aussi la structure (partie souple et partie dure, harmonie) et enfin la longueur en bouche, la persistance aromatique.

Dans la dégustation, une distinction par le type de saké peut aider. On cherchera à connaître par avance le type de boisson en écartant à priori les boissons ordinaires, les Futsûshu.

L’étiquette nous renseigne et nous dit si le saké ne contient que du riz fermenté, saké pur riz, un Junmaï ou si on a ajouté un alcool de distillation comme pour les HonJôzô. D’autres mentions peuvent éclairer le néophyte sur la qualité du polissage du riz, la filtration ou la non dilution avec de l’eau comme c’est généralement l’usage pour faire baisser le niveau d’alcool.

Pour ceux qui débutent en matière de saké, il y a beaucoup à comprendre tant le saké est éloigné de notre référentiel en matière de boissons alcoolisées. Un monde inconnu et fascinant s’offre aux amateurs de nouvelles sensations.

Le retour au terroir, l’avenir du saké japonais.

Pour conclure, je dirai que les notions de saké et de terroirs sont loin d’être des fantasmes pour maniaques obsédés par les catégories et les classements. Elles répondent à une évolution récente et passionnante du marché des sakés vers un retour aux productions artisanales de qualité. En renouant avec les traditions et le savoir-faire des anciens, les japonais remettent en avant des sakés premiums qui font le bonheur d’une nouvelle clientèle cosmopolite, curieuse et avide de Good Food.